Cependant, peu importe la vigueur ou l’aménagement du contrôle parlementaire, la façon dont il est exercé est aussi variable. Dans le cas qui nous concerne, le cadre annuel des dépenses soulève aussi la question de l’exhaustivité du contrôle. Plus précisément, même si les députés peuvent et utilisent l’étude des crédits budgétaires en commission pour poser des questions relatives à la politique générale du gouvernement, on peut reprocher au fonctionnement du mécanisme qui nous occupe d’être officiellement inscrit dans une perspective annuelle. Par exemple, même si le gouvernement peut, par son budget, prendre un engagement qui le contraindra pour plusieurs années à venir, les crédits budgétaires qui y sont promis ne sont examinés aussi rigoureusement qu’une année après l’autre.

Y a-t-il donc, comme le reproche entre autres Claude Harmegnies, un « trou contextuel » dans le contrôle parlementaire des dépenses? Pourrait-on voir des meilleures façons de faire afin d’examiner les engagements à plus long terme? Pour Harmegnies, en plus d’une approche annuelle cohérente avec nos normes comptables, il faudrait ajouter une autre façon de discuter des dépenses du gouvernement sur un horizon plus vaste. Il répond à sa question, « quelle est la planification [des activités du gouvernement] qui est représentée par la présentation des crédits à l’Assemblée nationale? », en citant le ministre des Affaires municipales de l’époque, Maurice Tessier, qui affirmait en Chambre que l’étude des crédits « ne permet toutefois pas de mesurer sur le plan technique la valeur de tous les efforts de planification entrepris par le gouvernement ».

La suggestion d’Harmegnies est, pour le gouvernement, de s’inspirer d’une proposition faite à Londres de publier annuellement des « livres blancs » détaillant la politique budgétaire du gouvernement pour quelques années à venir. Même si ce système a progressivement été ramené à trois ans à Londres, il n’en reste pas moins que l’idée d’étendre le regard des parlementaires à une politique budgétaire plus détaillée dans le temps est séduisante. Rappelons un autre mécanisme qui permet d’établir des dépenses sur plusieurs années : les crédits statutaires, au sujet desquels André Bernard rappelait l’importance d’un parlement alerte qui s’assure de les accompagner d’encadrements adéquats .

L’inévitabilité des dépenses qui ne sont pas strictement circonscrites à l’année financière est plus que jamais actuelle. L’édition 2012 du rapport annuel du Vérificateur général du Québec soulevait une inquiétude quant au contrôle des dépenses qui sous-tend l’étude des crédits : la formule de vote des crédits telle qu’appliquée présentement est, en quelque sorte, escamotée par des engagements pris par le gouvernement. De ce fait, on peut aller jusqu’à se poser la question : les parlementaires gardent-ils le contrôle sur les dépenses engagées par le gouvernement? C’est ce que fait le Vérificateur général dans son rapport :

« Actuellement, le vote des crédits ultérieurement à la conclusion des contrats par le gouvernement et à la réalisation des dépenses admissibles par les bénéficiaires a pour effet de limiter considérablement la marge de manoeuvre des parlementaires. En effet, ces derniers sont appelés à voter des crédits a posteriori pour le paiement d’engagements déjà contractés par le gouvernement. »

On peut donc en conclure que la dimension annuelle de l’étude des crédits, bien que nécessaire pour respecter les traditions comptables et le cycle budgétaire, condamne cette mesure de contrôle à perdre en exhaustivité. Il apparaît que cette faille, que nous n’abordons que rapidement ici, ne pourrait être corrigée qu’en ajoutant un mécanisme de contrôle plutôt qu’en amendant l’étude des crédits budgétaires en commission.

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Prochain chapitre : Un mandat dont l’ampleur croît