Un mécanisme formellement codifié dans le processus budgétaire du Québec
Il est important de situer brièvement l’étude des crédits en commissions dans le processus budgétaire du Québec avant de poursuivre. Cette brève discussion du processus budgétaire a été inspirée par Dussault, 2011 ainsi que par Le processus budgétaire au gouvernement du Québec.
Alors que le ministre des Finances assume la gestion générale du budget total du Québec (équilibre budgétaire, emprunts, investissements, etc.), c’est le président du Conseil du Trésor qui a la responsabilité d’établir la répartition des dépenses de l’État, donc de consolider les demandes des ministères sous la forme d’un budget de dépenses qui fait la liste des crédits budgétaires à attribuer à partir du Fonds consolidé du Revenu.
Pour cette première partie du processus budgétaire, une préparation étalée sur un an demande une estimation des coûts des engagements déjà pris (crédits permanents votés par des lois) et des mesures nouvelles. Tous ces estimés sont séparés par programmes, puis rassemblés par ministère dans ce qui est par la suite appelé familièrement le cahier des crédits des ministères, des organismes du périmètre comptable du gouvernement et de l’Assemblée nationale . Le budget de dépenses est en fait, traditionnellement, un recueil composé de quatre volumes :
- les crédits de l’Assemblée nationale et de ses personnes désignées;
- les crédits des ministères et organismes;
- les plans annuels de gestion des dépenses;
- un message de la présidente du Conseil du trésor accompagné de renseignements supplémentaires.
Toutefois, le budget de dépenses 2012-2013 déposé le 20 mars 2012 comprend aussi un cinquième volume consacré au budget des fonds spéciaux afin de satisfaire aux exigences de la Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 17 mars 2011 (projet de loi 10).
Le budget est préparé simultanément par le ministère des Finances en collaboration avec le conseil des ministres. En plus de la prévision de la conjoncture économique de l’année concernée (la première partie du discours du budget) et des estimations quant au revenu disponible pour l’administration, on y retrouve une partie des données du budget de dépenses dans un format plus politique et surtout consacré aux modifications apportées aux programmes.
Le budget de dépenses contient des crédits permanents (ou statutaires; qui sont déjà conférés par loi) et d’autres à adopter, que l’on nomme crédits annuels. Certains crédits, qui ne représentent actuellement qu’une infime part du budget de dépenses, peuvent durer plus longtemps : «La Loi sur l’administration publique (L.R.Q., c. A-6.01) prévoit qu’un crédit peut porter sur une période de plus d’un an, sans excéder trois ans.»
Comme le confirme le politologue André Bernard , les crédits statutaires sont une façon, pas nécessairement négative, de se soustraire au contrôle parlementaire: parfois, il peut être nécessaire de placer une mesure hors d’atteinte des volontés politiques, par exemple pour un projet de longue haleine que l’on n’a donc qu’à approuver une seule fois, pour le service de la dette ou les budgets de fonctionnement des institutions indépendantes.
Comme les crédits doivent être présentés et adoptés avant que les dépenses ne puissent être effectuées et que l’année financière débute le 1er avril, il est traditionnel que le budget de dépenses soit déposé quelques semaines plus tôt, en mars. Les dépenses qui y sont compilées sont présentées dans un projet de loi autorisant le prélèvement des montants totaux prévus au Fonds consolidé du Revenu.
Le dépôt du budget annuel, quant à lui, suit de près le dépôt du projet de loi d’adoption des crédits budgétaires: l’article 288 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que l’adoption du projet de loi des crédits ne se fait qu’une fois les motions prévues à l’article 277 votées; celles-ci portent sur le discours du budget et les orientations que le gouvernement y expose.
Prévoyant que la discussion sur la politique budgétaire donne lieu à des débats, ce projet de loi sur l’adoption des crédits budgétaires pour l’année est précédé d’un autre projet de loi, généralement associé au dépôt du budget de dépenses, prévoyant l’adoption, en commission plénière, des crédits provisoires (un quart du total des crédits) afin de s’assurer que les ministères et organismes puissent continuer de fonctionner au début de l’année financière même si tous les crédits annuels n’ont pas été votés. Il est aussi possible, si nécessaire, de voter des crédits supplémentaires au cours de l’année. Nous ne nous pencherons pas sur cette procédure si ce n’est que pour dire au passage qu’elle est aussi confiée à une commission plénière qui doit en faire l’étude dans un délai de huit heures.
L’étude des crédits budgétaires en commission à proprement parler commence une fois que les crédits provisoires sont adoptés. Les leaders du gouvernement et des groupes d’opposition conviennent donc d’un horaire soumis à la Présidence, répartissant ainsi les 200 heures réglementaires sur lesquelles s’échelonnent les débats. Pendant ces débats qui occupent deux semaines de travaux parlementaires, l’Assemblée nationale ne se réunit que pour procéder aux affaires courantes (la dimension temporelle est abordée plus loin).
Une fois l’étude en commission effectuée, les rapports des commissions sont soumis aux membres de l’Assemblée, qui peut procéder à l’adoption de son principe, puis à son adoption finale après un débat restreint de deux heures.
Comme son fonctionnement est assuré par des crédits budgétaires qui doivent être alloués par le Conseil du Trésor, l’Assemblée nationale doit, elle aussi, se soumettre à l’étude de ses crédits budgétaires. Celle-ci se déroule, comme le prévoit l’article 286 du Règlement, à la fin des deux cents heures réglementaires et à l’occasion d’une séance de la commission plénière prioritaire. Présidée par un des vice-présidents, elle permet au Président de répondre aux questions des députés.
Qualifier le processus de « formellement codifié » n’est pas qu’un effet de style : nous verrons, au fil des prochains chapitres, que l’attention qui y est apportée est exceptionnelle.
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Prochain chapitre : Plus qu’un vestige de la lutte pour un gouvernement responsable