Des travaux prioritaires à l’Assemblée
« Cette demande de débat d’urgence est irrecevable pour le motif que pendant la période de l’étude des crédits budgétaires en commission, il n’y a pas de débat d’urgence; l’Assemblée ne procédant qu’aux affaires courantes. »
- Le Président Pierre Lorrain, le 27 mai 1987.
La seconde différence majeure avec Ottawa est, en elle-même, une caractéristique particulière de l’étude des crédits au Québec. À la lecture du Règlement de l’Assemblée nationale, on constate que l’aménagement du temps prévoit littéralement deux semaines exceptionnelles dans l’année : durant l’étude des crédits, la priorité dans les affaires parlementaires y est accordée. À cette occasion, l’Assemblée continue de siéger, mais ne procède qu’aux affaires courantes. Comme le mentionne le Président Lorrain dans la citation en exergue, même les demandes de débats d’urgence ne sont pas recevables durant cette période.
Cette priorité donne lieu à un climat différent à l’Assemblée nationale : la période des affaires courantes est suivie chaque jour de quatre commissions siégeant simultanément et où les ministres sont interrogés par les députés. Cela peut donner lieu à une certaine récupération des échanges entre ces mécanismes de contrôle, récupération qui n’est pas sans être utilisée par les députés de l’opposition pour maximiser le contrôle effectif.
Le temps est un facteur déterminant de la nature prioritaire de l’étude des crédits. Comme le montre l’universitaire Marguerite Massé-Tardif, le temps passé à l’étude des crédits budgétaires en commission a représenté respectivement 22%, 31%, 44%, 17%, 14% et 24% des travaux parlementaires pour les années de 1974 à 1979. En 1980, l’article 128.3 du Règlement demandait qu’« au moins dix heures » soient accordées à l’étude des crédits de chaque ministère. Au-delà de ce délai, si la commission ne faisait pas de rapport à l’Assemblée, les crédits étaient réputés adoptés. Le Règlement provisoire de 1983 était le premier à définir, à son article 256, un horaire et une priorité (on ne procède qu’aux affaires courantes) et, à son article 257, la durée de 200 heures au total réparties entre chaque ministère (pour lequel on peut passer au maximum 20 heures).
Si l’on compare la durée habituelle d’une année de travaux parlementaires au temps qui y est consacré aux crédits budgétaires, on ne peut que constater qu’il s’agit d’un rendez-vous annuel passablement important. À cet effet, le tableau 1 montre que la proportion du temps consacré à l’étude des crédits reste grande.
2007-2008 | 2008-2009 | 2009-2010 | 2010-2011 | |
---|---|---|---|---|
Travaux en commissions (h) | 847,2 | 841,8 | 1428,4 | 1538,6 |
Étude des crédits (h) | 179,3 | >195,7 | 188,2 | 191,1 |
Étude des crédits (%) | 21,2 | 23,2 | 13,2 | 12,4 |
Note : les plus faibles nombres d’heures de travail en commissions observés pour les années 2007-2008 et 2008-2009 peuvent s’expliquer par les élections générales ayant eu lieu en mars 2007 et en décembre 2008. Source :Assemblée nationale du Québec |
Le temps consacré à l’étude des crédits à l’Assemblée nationale en tant que tel est plus modeste : on prévoit un débat restreint de cinq heures pour l’adoption des crédits provisoires et de deux heures pour l’adoption des crédits annuels, en plus d’une séance de commission plénière pour l’étude des crédits de l’Assemblée nationale. Ces débats sont traités comme des affaires prioritaires. À noter que les crédits de l’Assemblée ne sont pas soumis à un vote des parlementaires, mais sont plutôt adoptés par le Bureau de l’Assemblée nationale et traités comme des crédits permanents.
Cette importance chronométrique ne fait pas du Québec une exception en comparaison avec d’autres parlements similaires. Comme le constatent Réjean Pelletier et Julien Domingue :
« [dans] pratiquement tous les Parlements étudiés, le temps imparti pour l’étude des prévisions budgétaires en commissions parlementaires est toujours beaucoup plus important que le temps imparti pour l’étude en Assemblée. À cet égard, le Parlement du Québec se situe dans la tendance générale, avec un temps réel d’étude en commission frôlant les 200 heures et un temps d’étude en Assemblée limité à un débat de deux heures. »
Or, cette conclusion n’est pas la seule à placer le Québec dans la tendance générale des Parlements de type Westminster. Les auteurs font en effet le constat que, tant au niveau des modalités que des traditions effectives, l’Assemblée nationale du Québec possède beaucoup plus de points communs avec les autres parlements qu’elle n’a de caractéristiques d’exceptions.
* * *
Prochain chapitre : De très importantes ressources accordées