« Je souligne le caractère particulièrement important, dans notre régime politique, de cette étude des crédits. C’est le coeur même de ce pour quoi les Patriotes ont combattu, M. le Président, c’est-à-dire ce gouvernement responsable où le gouvernement ne peut obtenir de deniers que par l’intermédiaire des élus du peuple, et il doit rendre compte de l’administration de ces deniers aux élus de la population. »
- Le député de Verchères Stéphane Bergeron.

Comme le mentionne le député de Verchères, le processus d’étude des crédits budgétaires n’est pas simplement une clé du parlementarisme de type britannique, mais fait directement référence aux luttes des Patriotes du XIXe siècle, qui se sont battus pour la prérogative de déterminer les dépenses de la Couronne et l’obtention du gouvernement responsable. Le principe de responsabilité parlementaire des deniers publics étant désormais à la base du Parlement, il serait impensable que les crédits ne soient pas présentés aux députés et que ceux-ci ne puissent pas agir.

Sans entrer dans une histoire détaillée du parlementarisme, il est important de situer le concept des crédits budgétaires dans une trame chronologique de plus de cinq siècles. En effet, l’élaboration progressive d’une constitution au sein du régime monarchique du Royaume-Uni a impliqué, au fil des années et des réformes, que la taxation des citoyens soit assortie d’un consentement populaire. L’orateur Gaspard Fauteux fait référence à l’Orateur britannique Thomas More qui, plus d’un siècle avant la révolution de 1688, s’était opposé au roi Henri VIII sur l’allocation d’un subside sans débat, créant ainsi un précédent dans la prise de contrôle financière par le Parlement.

Peu à peu, le consentement a été raffiné en voulant signifier l’intervention du Parlement pour décider et approuver la levée de fonds chez les citoyens et l’utilisation de ces fonds. On a appelé ceux-ci voies et moyens (ways and means) et subsides (ou appropriations).

Après la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques, ces enjeux politiques ont été, en quelque sorte, importés de façon à lier l’idée d’une taxation au consentement des citoyens de la colonie plutôt qu’au seul gouvernement royal : il était intolérable que la population d’une colonie, gouvernée par le même souverain, n’aie pas droit aux mêmes prérogatives en matière de finances. Après la création de la Chambre d’assemblée du Bas-Canada en 1792, il aura fallu plus de 50 ans avant d’obtenir le gouvernement responsable, donc un gouvernement qui compte sur la confiance de l’assemblée, légitimité impossible à asseoir sans l’approbation par les législateurs du budget gouvernemental. Une autre composante des dépenses de la Couronne que voulaient contrôler les parlementaires est la liste civile, qui comprend les salaires des employés de la colonie. Le droit de regard des députés sur les dépenses et les salaires sera donc à la base de l’évolution du contrôle parlementaire sur l’exécutif.

Évidemment, dans le système tel qu’il a été importé au Canada et au Québec, les pouvoirs législatif et exécutif sont fortement entremêlés par la tradition qui veut que le premier ministre et son conseil soient nommés à même la Chambre. Ainsi, le contrôle parlementaire doit être vu comme plus souple qu’une démarche coercitive, par exemple dans la conception qu’en ont les Américains, pour qui le Parlement et le Président peuvent être en désaccord, bloquant de facto le processus législatif et forçant le compromis.

Cela nous invite donc, premièrement, à déterminer si le vote sur les crédits budgétaires peut être considéré comme mettant en jeu la confiance de la Chambre envers le gouvernement. À cela, la réponse est plutôt floue: comme on l’indique dans La procédure parlementaire du Québec, les crédits sont présentés à l’Assemblée nationale sous la forme d’un projet de loi auquel des modifications apportées peuvent être rejetées par des amendements. Toutefois, les leaders parlementaires choisissent de le considérer comme matière à confiance, ce qui mène à une plus grande prudence lors des votes. Cette question est plutôt théorique, en fait, car une opposition voulant renverser un gouvernement a bien d’autres outils à sa portée (rejet de la politique budgétaire, motions de censure) pour signifier sa non-confiance que de battre des crédits budgétaires.

Au-delà de la question de la confiance des parlementaires envers le gouvernement, nous reviendrons plus tard dans cet essai à la thématique du contrôle parlementaire, car il nous faut en premier lieu comprendre à quel point l’étude des crédits a gardé une place importante dans la vie parlementaire contemporaine.

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Prochain chapitre : Un moment privilégié pour l’opposition