Comme nous le voyons, les approches utilisées en commissions révèlent beaucoup sur le Parlement en tant que tel et sur les parlementaires en particulier. Il est donc utile de s’attarder aux questions que les parlementaires posent : elles nous en apprennent beaucoup sur les types de contrôle parlementaire effectués. Pour les fins de cet essai, concentrons-nous sur les questions posées par les députés de l’opposition, qui pratiquent un contrôle plus vigoureux.

Prenons donc quelques exemples tirés des études des crédits des dernières années, plus particulièrement des trois ministères les plus importants dans le budget de dépenses : le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Ces exemples nous permettront de voir plus directement ce qui est sous-entendu par les catégories de contrôle parlementaire établies par M. Crick.

On retrouve, dans les questions posées par les députés aux ministres, des cas clairs de conseil, par exemple dans les propos de la députée de Taillon Marie Malavoy :

« C’est un choix, les proportions, et c’est pour ça que je voudrais que la ministre m’explique ce choix d’avoir baissé la proportion du gouvernement du Québec. C’est toujours un rapport entre deux choses, un pourcentage, et là, il y a un choix qui aurait pu être autrement. On aurait pu dire : Les étudiants vont payer plus, mais l’État va continuer à assumer au moins 54 % de sa part de responsabilité. »

À d’autres occasions, les députés se concentrent sur une dimension de critique, comme le député de Mercier Amir Khadir :

« Mais il n’y a rien, dans les mesures que vous annoncez, qui nous assure que, pour les classes moyennes, pour les familles et les enfants issus de ces familles qui, disons, qui ne se qualifient pas pour les prêts et bourses… Ils vont écoper, c’est évident. »

L’examen et la publicité sont plus souvent liés, comme dans cette question posée par le député de La Peltrie Éric Caire :

« Donc, ce qu’on ne sait pas, c’est : Est-ce qu’elles ont effectivement… Est-ce que les commissions scolaires ont acheté ces volumes-là? Est-ce qu’elles l’ont acheté aux endroits qui étaient prescrits? Et surtout, s’ils ne l’ont pas fait, qu’est-ce qu’ils ont fait avec l’argent? Est-ce que, ces informations-là, on va les savoir? Parce que l’argent a été mis sur la table, la ministre l’a dit, puis je la crois sans l’ombre d’un doute. Mais qu’est-ce qu’ils ont fait avec l’argent s’ils n’ont pas fait ce qu’ils étaient supposés faire? »

La publicité peut être plus directe et ne pas relever du tout de l’examen, mais plutôt d’une confirmation d’une information, comme cet exemple de la députée de Marguerite-D’Youville Monique Richard :

« Pour en revenir à la remarque du ministre tout à l’heure, je voudrais revenir sur, un peu, une question que j’avais posée l’an dernier qui avait provoqué l’invitation à participer à l’annonce, avec le gouvernement fédéral, des crédits. Est-ce que l’entente est signée? Et est-ce qu’on a un délai pour les sommes qui doivent être versées au gouvernement, au ministère? »

Pour ce qui est de la dimension du contrôle parlementaire que M. Crick définirait toujours par la publicité, on peut observer des exemples de récupération des sujets à la période de questions et de réponses orales ou dans les médias. Par exemple, le député de Kamouraska-Témiscouata André Simard, qui utilisait une discussion de l’étude des crédits comme préambule d’une question posée à l’Assemblée :

« M. le Président, lors de l’étude des crédits, le ministre de l’Agriculture a confirmé qu’une institution financière est admissible aux divers programmes d’aide financière comme n’importe quel autre agriculteur. Or, la Banque Nationale s’est lancée en agriculture dernièrement au Lac-Saint-Jean en achetant de très bonnes terres agricoles, soit plus de 5 000 hectares, ce qui équivaut à 60 à 70 fermes, M. le Président. Les terres agricoles, faut-il se le rappeler, sont notre garde-manger, notre richesse, notre patrimoine collectif. C’est stratégique pour notre souveraineté alimentaire. Est-il acceptable que la Banque Nationale puisse avoir accès aux programmes du ministère, alors qu’en 2011, dans son rapport annuel, le bénéfice net de la Banque Nationale est de 1 203 000 000 $, en hausse de 11 % par rapport à 2010? »

Les députés de l’opposition peuvent aussi réutiliser les informations dans des déclarations ou des communiqués de presse afin de maximiser l’impact, en matière de publicité, de leur travail parlementaire, comme l’a fait le député de Drummond Yves-François Blanchet :

« Le député de Drummond et porte-parole de l’opposition officielle en matière de langue, Yves-François Blanchet, s’est dit surpris que la ministre responsable de l’application de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, soit incapable de dresser un véritable portrait de la situation du français à Montréal et ailleurs au Québec à l’occasion de l’étude des crédits qui a eu lieu à l’Assemblée nationale aujourd’hui. »

On ne peut pas non plus analyser correctement les débats qui ont lieu lors de l’étude des crédits budgétaires en commission sans mentionner un dernier type de questions posées par les députés de l’opposition : les questions concernant ce qu’on appelle familièrement des « cas de comté ». Par exemple, prenons la question posée par la députée de Mirabel Denise Beaudoin en 2010 :

« Ma question : Pourquoi l’horaire de faction dans la municipalité d’Oka existe-t-il toujours, alors qu’il s’agissait d’une mesure provisoire mise en place en 1989, soit plus de 20 ans déjà? Et pourquoi cette inaction de la part du gouvernement? »

Ce type de questions nous montre que le député qui participe à l’étude des crédits n’est pas uniquement un contrôleur, mais qu’il reste représentant de sa circonscription et qu’il se sert quand même de cette période et de la disponibilité du ministre pour « faire avancer » des dossiers.

Ces exemples, choisis sans pour autant prétendre à une représentation proportionnelle de la réalité, montrent quand même le ton utilisé par les députés et les divers types d’interventions qu’ils privilégient alternativement. Toutefois, revenons au cadre qui entoure ces questions, car il en teinte les effets.

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Prochain chapitre : Conclusions : Quel contrôle parlementaire?