« En démocratie parlementaire, le pouvoir exécutif est imputable devant le pouvoir législatif. L’une des façons de rendre des comptes, c’est la période des questions à l’Assemblée nationale, à laquelle je me prête bien volontiers, tout en étant conscient que les limites de temps nous empêchent parfois d’aller au fond de choses dans ce contexte particulier. Ici, par contre, nous avons toute la latitude pour étudier en détail tel programme ou telle activité du ministère ou du réseau, et je ferai naturellement ma part pour fournir les éclaircissements voulus aux députés membres de la commission. »
- Le ministre de la Santé et des Services sociaux Yves Bolduc

Le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle ont donné lieu, à l’Assemblée législative du Québec et dans les parlements qui l’ont principalement inspirée (à Ottawa et à Londres), à peu de modifications au fonctionnement de l’étude des crédits par un comité plénier. Tout d’abord, à partir de 1940, l’année financière pour le budget du Québec a commencé le premier avril plutôt que le premier juillet, créant ainsi le besoin de recourir à des crédits provisoires (qui ne sont devenus monnaie courante qu’après les gouvernements de Maurice Duplessis).

De plus, on a commencé à envisager de diminuer le recours au comité plénier. Celui-ci, décrit comme une « fiction règlementaire », représente une commission parlementaire composée de tous les membres de la Chambre. D’un point de vue réglementaire, la commission plénière se distingue de l’Assemblée nationale par son décorum (c’est un des vice-présidents plutôt que le président qui assume la fonction de président de la commission, on retire la masse de la Table, un secrétaire adjoint plutôt que le secrétaire général est chargé du secrétariat, les députés n’ont pas à garder leur place ni à se lever pour prendre la parole, les conseillers externes y sont admis et on peut même leur accorder le droit de parole) mais reste similaire aux autres commissions.

La commission plénière est de nos jours utilisée pour l’étude de certains projets de lois courts relativement peu contestés, pour des projets de lois privés, lors de séances extraordinaires ainsi que pour l’étude des crédits budgétaires provisoires, des crédits budgétaires supplémentaires et tous ceux de l’Assemblée nationale.

Même si le comité plénier est composé, théoriquement, des mêmes membres réunis dans la même pièce, la raison pour laquelle l’examen des subsides y était confié est expliquée par la lente évolution des pratiques, comme en fait foi le guide de la procédure parlementaire de la Chambre des communes du Canada :

« Cette pratique de permettre toutes sortes d’amendements, de même que la grande latitude accordée pour les débats et l’absence de limites de temps étaient des reliquats d’un ancien principe du gouvernement parlementaire qui voulait que la Couronne réponde aux griefs de la population avant que celle-ci ne lui accorde des crédits.nbsp;»

Au Royaume-Uni, c’est le temps de guerre qui a poussé à modifier les façons de faire : un comité spécial du Parlement a été désigné durant la Première Guerre mondiale afin d’étudier les dépenses de la marine, de l’Armée, en plus de se pencher sur l’exploitation de certaines ressources naturelles.

Cette façon de faire, qui a par la suite été adaptée aux temps de paix au début du XXe siècle, fut citée par l’Orateur de la Chambre des Communes du Canada Gaspard Fauteux, en 1948, lorsqu’il y déposa un rapport sur l’à propos d’une réforme parlementaire et du mécanisme de l’étude des crédits budgétaires. Selon lui, il s’agissait de s’assurer que les subsides soient étudiés avec une minutie et une expertise plus grandes que dans le contexte de l’époque, où près de 250 députés étudiaient tous ensemble les prévisions budgétaires. Plus qu’un aménagement du temps, il proposa en fait un modèle où l’adoption des crédits et l’allocation des subsides restent une prérogative de la Chambre, mais où l’étude, la critique et les amendements sont du domaine d’un comité. Insistons sur cette idée, qui est importante dans la marche procédurale des travaux : on délègue l’étude des crédits, mais on réserve à la Chambre l’adoption de ceux-ci.

La politologue Geneviève Benezra explique bien comment cette réflexion canadienne a influencé celle du Québec, tout en en recevant aussi l’influence : les deux Parlements ont travaillé simultanément à des réformes de leurs procédures parlementaires. À Ottawa, celle-ci s’est faite à partir de 1964, avec un nouveau règlement adopté en 1968. À Québec, les règlements ont été modifiés dès 1965 (avec comme base le code de 1941) mais n’ont été remplacés officiellement qu’avec le Règlement de 1973.

Les inspirations pour cette réforme au Québec sont multiples : la volonté de profiter des innovations des autres Chambres s’est certainement fait sentir mais, comme le propose Louis Massicotte, on ne peut passer outre une appréhension d’une surcharge de travail pour le comité plénier (donc la Chambre) dans un contexte d’expansion du domaine de l’État, donc de multiplication des pages dans les cahiers des crédits des ministères. Le contraste avec Ottawa, noté par John Stewart et cité par Massicotte, tend à valider cette hypothèse : avec une augmentation plus rapide des dépenses publiques, la réforme parlementaire gérant ces dépenses a dû elle aussi être assez brusque.

La réflexion a été, entre autres, poussée par Jean-Charles Bonenfant, juriste et directeur de la Bibliothèque de l’Assemblée législative, à qui le premier ministre Jean Lesage avait commandé une étude de réforme. Celle-ci, qu’il a publiée en 1964, plaidait pour une plus grande utilisation de la structure de comités : « Les comités peuvent être utilisés non seulement pour le travail législatif, mais aussi pour un travail de contrôle comme celui de l’examen des comptes publics, celui de l’étude des estimés budgétaires ou la révision de la réglementation. » Ce plaidoyer aura des suites : dès 1965, des comités plus restreints, mais distincts des comités parlementaires déjà existants sont mis sur pieds pour étudier les crédits de deux ministères (ministère des Affaires culturelles et ministère de l’Industrie et du Commerce) et du secrétaire de la Province.

Le secrétaire de la Province de Québec était, jusqu’en 1970, un membre du conseil des ministres chargé de tâches diverses, dont la supervision de subventions artistiques, la production de rapports annuels et d’autres publications. Cette innovation dans la procédure parlementaire sera soulignée par M. Bonenfant lui-même dans un travail de vulgarisation publié dans le journal L’Action, ce qui en fait une référence importante de par sa présence tant lors de la réflexion au sujet de la réforme que de son commentaire une fois mise en place.

Contrairement aux éloges que fait Bonenfant des essais de 1965 au Québec, cette mesure n’a pas été accueillie aussi gracieusement partout. Lorsqu’elle a été importée à la Chambre des Communes d’Ottawa, on a pu observer une certaine contestation de la part de l’opposition officielle. Benezra relate les propos des députés qui accusaient le gouvernement de vouloir « empêcher la Chambre des Communes “d’examiner et de surveiller les dépenses publiques et de faire obstacle à des dépenses exagérées en faisant ressortir aux yeux de l’opinion publique tout gaspillage des deniers.” » Bref, le déplacement du processus d’un comité plénier, assimilé à une séance de la Chambre vers des comités moins courus était vu comme une tentative de secret. En revanche, il apparaît clair que les arguments que l’Orateur Fauteux a présentés en Chambre des communes pour réclamer la formation de comités plus restreints se voulait l’occasion de donner une meilleure occasion d’examen de la part des députés, alors que les critiques décriaient un compromis au détriment de la publicité, un volet jugé essentiel.

On peut aussi faire contraster ces interprétations de Bonenfant et de Fauteux ainsi que des députés outrés en disant que l’étude des crédits budgétaires en un comité plus restreint pouvait améliorer le volet de la critique du contrôle parlementaire, mais aussi de « suggérer de véritables économies ». Cette dernière observation est aussi compatible avec la définition de Crick du contrôle, en voulant mettre l’accent sur l’influence et le conseil du législatif à l’exécutif comme des éléments bénéficiant de cette réforme.

En 1972, la présentation par le Président Jean-Noël Lavoie de sa réforme du Règlement fait d’ailleurs état d’une conception assez similaire du contrôle parlementaire lorsqu’il parle de procédures qui ont pour but non seulement de permettre « à la majorité de faire adopter sa législation », mais aussi « à l’Opposition […] de s’exprimer et d’éveiller l’opinion publique », ce que nous pouvons facilement assimiler aux dimensions de critique et de publicité.

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Prochain chapitre : Une utilisation différente par les parlementaires qui s’y prêtent